La Narration au XIXe Siecle

Le roman personnel, le roman historique, le roman social sont les trois directions dans lesquelles on essaie de faire entrer, avec plus ou moins de succès, une production littéraire d’une richesse inouïe – la prose narrative romantique. Ces trois catégories de romans, parfois imbriquées, côtoient, à leur tour, d’autres sphères : roman de mœurs, roman à thèse, roman noir, roman d’aventures.

Le roman historique peut se présenter, à première vue, comme une réaction contre le subjectivisme excessif du récit autobiographique. En réalité, roman personnel et roman historique sont deux volets complémentaires du roman romantique. Selon P. Barbéris, ces deux modalités narratives du XIXe siècle sont apparues presque simultanément, comme résultat d’une recherche de l’intériorité ou de la curiosité du réel, ce qui détermine un rapport dialectique entre les deux types de romans, tous les deux « des instruments de renouvellement de l’expression littéraire » (Le Roman historique).

La littérature subjective – œuvre de confession ou roman qui mélange fiction et souvenirs personnels – a été une manifestation privilégiée du XIXe siècle, depuis René de Chateaubriand jusqu’au Culte du moi de Maurice Barrès. À l’exemple de la création rousseauiste, l’œuvre d’art devient « un prolongement de l’existence » (G. Picon, Histoire des littératures, t.III) et le héros une projection du moi.

Dans le roman personnel (nommé aussi roman intime, récit confidentiel ou roman de l’individu), l’accent qui porte sur un seul personnage – qui est le sujet de l’écriture - mène à un relatif détachement de celui-ci par rapport au contexte historique et à la suppression des événements. Le roman perd « sa fonction informative » (R. Démoris, Le roman à la première personne). On se préoccupe surtout de la description du monde intérieur : le paysage où l’intrigue dépend uniquement de la perspective du héros, qui devient le foyer narrationnel. Le caractère autobiographique du texte est marqué, le plus souvent, par un récit à la première personne, source visible de la narration (J. Rousset, Narcisse romancier). Il existe aussi une autre sorte de confession – à la troisième personne – où l’écrivain se dissimule derrière une narration transparente et derrière un héros fictif, chargé de raconter l’histoire (le personnage-récepteur).

Les productions romanesques du début du XIXe siècle ont le mérite d’avoir imposé dans la grande typologie romantique deux variantes morales : « la belle âme » et « l’égoïste ».

« La belle âme » apparaît pour la première fois en France dans les romans de Madame de Staël, Delphine (1802) et Corinne ou l’Italie (1807), révélateurs – tout comme les œuvres de Chateaubriand – pour toute la littérature de l’époque. Pour Delphine, l’écrivain choisit comme formule narrative le roman épistolaire, modalité complexe du récit à la première personne, qui suppose une multiplication des points de vue. Dans l’autre livre, le principal moyen d’expression du « roman de la parole » sera la réflexion esthétique ou morale.

Œuvre d’analyse, dans le sens précis donné à la notion par les philosophes du XVIIIe siècle, mais qui propose un schéma narratif inédit (le récit à deux personnages), Adolphe par Benjamin Constant a été rédigé en 1806, à la suite d’un pari, et publié en 1816.

Le roman se présente sous la forme d’un journal intime, mais, par un procédé romantique, le manuscrit est attribué à un étranger, connu, à la fois, par le narrateur-témoin et par le futur éditeur. Ceux-ci jouent, en quelque sorte le rôle du confident et du commentateur détachés de l’action, dont les paroles encadrent seulement l’intrigue principale. On obtient par là un double écart temporel : non seulement entre les moments des événements vécus et ceux de la rédaction - « le temps de l’histoire » et « le pseudo-temps du récit » (G. Genette, Figures, III), mais aussi par rapport à la publication.

Comme dans tout roman personnel, la valeur majeure de l’œuvre porte sur la structure psychique de ce héros double, dans lequel l’écrivain s’est reconnu : l’acteur-le spectateur, l’être qui sent - l’être qui juge, qui soumet tout à un examen critique. Apprécié surtout à la fin du XIXe siècle, Adolphe est le récit intime qui a le mieux résisté à l’épreuve du temps.

Volupté (1834), le roman personnel de Sainte-Beuve, où l’auteur avoue avoir mis « le plus de son observation et même de son expérience », est un livre peu lu aujourd’hui. Le rythme lent, l’absence d’une progression dramatique et du dialogue ne peuvent le rendre trop accessible. L’intérêt de l’œuvre consiste dans son aspect de confession totale et dans la méthode d’introspection. Le romancier fouille toutes les couches de la personnalité et descend dans les profondeurs de l’inconscient, dans « les sépultures successives où le passé a déposé ses débris ».

Alfred de Musset s’est affirmé dans l’histoire du roman personnel comme un analyste plus lucide du mal du siècle que ses devanciers. Il a voulu surtout donner une interprétation sociologique à ce phénomène. Musset a aussi l’avantage de la distance dans le temps, car son roman, La Confession d’un enfant du siècle, date de 1836. L’égotiste désenchanté qui ne peut plus croire à la passion, qui ne peut plus échapper à ses souvenirs, se détache dans ce roman par un autoportrait chargé, une charge amère, écho des expériences intimes de l’écrivain.