La Geographie des Enfers - Eneida

LA GEOGRAPHIE DES ENFERS

Énéide, poème épique en 12 chants, a été composé par Virgile dans les onze dernières années de son existence, de 29 à 18 avant J.-C. L’épopée mythologique en douze chants relate les sept années de pérégrinations du héros Enée, depuis la chute de Troie, sa patrie, jusqu'à sa victoire militaire en Italie. Énée parti de la Sicile, vogue sur la mer Tyrrhénienne, lorsqu'une tempête le jette sur les côtes d'Afrique, où il trouve Didon occupée à fonder Carthage. Elle le prie de lui raconter la prise de Troie et ses propres malheurs depuis son départ de cette ville : le deuxième et le troisième chant du poème sont consacrés à ce récit. Didon s'éprend d'Énée, qui, après s'être oublié quelque temps auprès d'elle, l'abandonne à son désespoir. Le héros, contraint par une tempête de relâcher à Drépanum, y célèbre des jeux funèbres en l'honneur de son père Anchise, mort au même lieu l'année précédente. Puis, ayant, avec l'aide de Jupiter, sauvé sa flotte, que les femmes troyennes, inspirées par Junon voulaient incendier pour rester en Sicile, il aborde en Italie. La Sibylle de Cumes lui annonce les maux qui l'attendent en ce pays, et le conduit aux Enfers. Il y voit dans le Tartare les supplices des méchants, et, au milieu des Champs-Élysées, Anchise qui lui dévoile les destins de sa postérité.

Les anciens n'attachaient pas au mot Enfers la signification que lui donnent les modernes. Par Enfers, ils entendaient le séjour qu'habitent toutes les âmes des morts, aussi bien les âmes pieuses que les âmes criminelles. Virgile divise ce séjour en plusieurs parties. Il en désigne trois principales, qui se subdivisent en neuf : le Tartare, habité par les grands coupables; les Champs-Élysées, séjour des justes; et les lieux où sont les âmes de ceux qui, aux yeux des anciens, n'avaient pas commis de crimes, mais qui n'avaient pas non plus pratiqué de vertus. Ces Enfers étaient placés dans les profondeurs de la Terre. Plusieurs entrées y conduisaient, entre autres l'Averne ( vers 237), que le poète dépeint de manière à inspirer une terreur religieuse. L'Averne est situé au milieu de sombres forêts, protégé par un lac aux eaux noirâtres, reflux de l'Achéron : En un lieu sombre, où règne une morne tristesse, Sous d'énormes rochers, un antre ténébreux Ouvre une bouche immense; autour, des bois affreux, Les eaux d'un lac noirâtre, en défendent la route. L'odeur pestilentielle qui s'exhale du gouffre tue les oiseaux qui tentent de le franchir dans leur vol. Pour qu'un vivant pût passer cette redoutable entrée, il lui fallait la visible protection des dieux, un rameau d'or qu'il devait offrir à Proserpine.

Les premières apparitions infernales sont de véritables allégories. C’est l’artiste, rompu à la rhétorique, qui décrit ici. La maison de Hadès, le roi des Enfers, semble avoir l’architecture d’une maison hellénistique, et les personnifications semblent faire partie de cet ensemble, selon une disposition étudiée. Il y a d’abord les maux actuels qui tourmentent la vie humaine (Dans le vestibule même à l’entrée des gorges de l’Orcus, le Deuil et les Remords vengeurs ont fait leur lit ; la habitent les pales Maladies, et la triste Vieillesse, et la Crainte, et la Faim mauvaise conseillère, et la hideuse Pauvreté, formes terribles a voir, et la Mort, et la Souffrance ; puis le Sommeil, frère de la Mort, et les Joies mauvaises de l’esprit, et, sur le seuil en face, la Guerre meurtriere), puis leur conséquences naturelles personnifiées par les Furies (et les chambres de fer des Euménides, et la Discorde insensée, avec sa chevelure de vipères nouée de bandelettes sanglantes), et, à coté de ces maux réels, les terreurs imaginaires qui sont le fruit des songes troubles (somnia vana – les vains songes) et dont font partie les monstres (En outre, mille fantômes monstrueux de bêtes sauvages variées s’y rencontrent : les Centaures, à l’écurie devant les portes, et les Sibylles biformes, et Briarée aux cent bras, et le monstre de Lerne poussant des sifflements horribles, et la Chimère armée de flammes, et les Gorgones, et les Harpyes, et la forme de l’Ombre au triple corps). Virgile souligne plus loin leur inanité par le geste de Sibylle qui empêche Enée de dédaigner vainement son épée contre les ombres impuissantes et irréelles (qui volettent sous une enveloppe sans consistance – cava sub imagine formae).

Lorsque des simulacres, détachés de la surface de certains conglomérats atomiques, au flux émis régulièrement, ils errent par le vide et entrent de façon imprévu en collision avec d’autres simulacres également égarés, d’où la formation d’un conglomérat hybride qui ne correspond plus à la réalité. A l’état de veille, l’esprit a la possibilité de refuser ce message infidèle, tandis qu’il lui est imposé, à l’état endormi. C’est ainsi que les apparitions des morts ne peuvent s’imposer que pendant le sommeil. La présence de l’arbre des rêves annonce le thème final de la porte des songes. Les Centaures et tous les monstres que voit Enée sont à mettre sur le même plan que les Songes (Au milieu, un ormeau opaque, énorme, déploie ses rameaux et ses branches séculaires, demeure, dit-on, que hantent communément les vains Songes, fixés sous toutes les feuilles). Mais comme les autres lieux du Tartare visités par Enée font partie du même ensemble, il est impossible de considérer les uns comme chimériques et d’accepter les autres au pied de la lettre. Il faut accepter les conséquences de la présentation virgilienne : ce qui est le songe, à l’entrée, et à la sortie des Enfers, doit être également au centre même des Enfers. La descente d’Enée se fait par l’intermédiaire d’un rêve, rêve d’initiation sans doute, mais rêve tout de même. Il est tout à fait naturel qu’Enée, en s’éveillant, n’ait guère de quoi s’entretenir avec la Sibylle et qu’il se hâte aussitôt de retrouver les Siens.